samedi 14 novembre 2015

Complainte d’un optimiste impénitent

Le texte qui suit a été prononcé par Claude Wehenkel à l'occasion de la remise du Spécial Award 2015 du FNR le 16 octobre 2015 à Belval en présence du Secrétaire d'Etat Marc Hansen. Le lecteur peut le considérer comme une première trame pour la création de la Gazette de l'Innovation.

Merci Här Président,
No souvill Komplimenter fir meng Persoun, erlabt mer och a Kompliment un Iech ze adresséiren. Den FNR  huet sech no engem zimlech kaoteschen Start am Johr 1999 permanent verbessert, an daat besonnescht ënnert ärer Présidence. Bravo. daat ass och de Mérite vun ärer ganzer Equipe, ënnert der professioneller Leedung vum Marc Schiltz.

An och e groussen Merci u meng Famillgen, déi mech zennter dem Ufang ënnerstëtzt an och supportéiert huet wann et därs Gudden e bësgen zevill gouf.

Léif Frënn, 
dëss Unnerkennung mëcht mer besonnescht Freed, well ech hunn neischt gefroot, neischt geflüssert, së koum vum selwën, ech hat mer absolut neischt erwaart.

Eigentlech misst ech och dem Letzeburger Wieler merci soen, deen no 30 Johr politescher Monotonie de Wiéssel an der Recherche- an Innovatiounspolitik erméiglecht huet.

Monsieur le Président, 
vous m’avez remis en main propre le Spécial Award du FNR, je veux le partager avec tous ceux qui de l’extérieur ou de l’intérieur du Centre Henri Tudor se sont battus depuis plus de 30 ans pour faire avancer l’innovation, la recherche et l’enseignement supérieur au Luxembourg. A qui le pouvoir politique et ses followers n’ont pas fait beaucoup de cadeaux. 

Chers collègues et amis,
je veux dédier cette marque de reconnaissance du FNR à tous mes compagnons de route du Centre Henri Tudor, en première lieu à Jean de la Hamette qui a été président du Conseil d’administration du Centre Tudor de 1987 à 2007, qui restera pour toujours LE président du Centre Tudor. Merci cher Jean, nous te devons beaucoup.

Tudor, le premier RTO au Luxembourg

J'ai eu le bonheur, d’être entouré d’excellents collaborateurs, compétents, motivés et capables de faire avancer les choses. Nous avons construit ensemble une organisation atypique de recherche pour l’innovation, bien avant l’apparition en Europe au début des années 2000 de la notion de RTO (Research and Technology Organisation). 

En 1987, nous avons déjà évité le pire. Sous la pression du ministre de l’éducation, le gouvernement envisageait de créer 22 Centres de Recherche Publics et de nombreuses superstructures dont un fonds national pour la recherche.

A peine 8 mois après le vote de la loi de mars ’87, le Centre Tudor était opérationnel. Dès l’année suivante, il a commencé à formuler ses trois principes fondateurs, en les affinant au rythme de ses plans de développement successifs:

1) être une entreprise d’utilité publique largement autonome géré comme une entreprise privée dont les principales valeurs sont les suivantes: qualité, transparence et accountibility c’est-à-dire obligation de répondre de ses actes, équilibre interne des pouvoirs, mobilité des chercheurs son seulement pour éviter le vieillissement collectif, mais aussi pour essaimer, pour renforcer le tissu socio-économique, introduction d’un système évolué de carrière et de rémunération, taux d’autofinancement  autour de 50 %. 
En ’96 l’autofinancement avait même dépassé les 70 %;

2) pratiquer toutes les activités utiles pour l’innovation sans exclusion a priori: recherche et développement, recherche doctorale et appliquée, support technologique, incubation d’entreprises de technologies avancées intégrée dans les réseaux de la recherche, formations liées à la recherche et à l’innovation, veille technologique;

3) veiller à la nature coopérative de toutes les activités, moyen efficace pour éviter les dérives. Les centres de ressources sectoriels introduits dès 1979 ont permis de structurer de façon durable le partenariat.

Nous avons évité le pire...

Manifestement ces principes fondateurs ne plaisaient pas aux plus conservatrices de nos parties prenantes. 
Certains ministres, fonctionnaires et syndicalistes patronaux voulaient nous pousser dans le coin de la recherche fondamentale. La ficelle était un peu grosse. Allions-nous sacrifier l’intérêt commun pour des raisons de basse politique?

Mais, nous avons évité le pire. Merci les petits Arthur.

En 2006, le Centre Tudor a été accepté et reconnu comme RTO à part entière par EARTO, l’association européenne des RTO. 

Quand en 2003 le gouvernement a voulu imposer un modèle archaïque d’université à la française et y intégrer de force les CRP, nous avons formulé notre avis sans qu’on nous le demande. A cette époque, tout ce qui avait le malheur d’être contraire au bon plaisir de la Ministre passait simplement à la trappe. La liste était longue. Après les élections de 2004, la Madame est passée elle-même à la trappe.

Le summum fut atteint en 2006 avec le projet de la cité des sciences de Belval, quand les multiples dysfonctionnements ont provoqué une sorte de fusion du réacteur. Il faudra un jour documenter cette histoire pour éviter que cela ne se reproduise. Les cogérants du projet, le Fonds Belval et l’Université avaient concocté en secret des projets de construction pharaoniques pour claquer d’emblée les 1200 millions d’euros envisagés par le législateur comme plafond à ne pas dépasser. 

Les noms retenus pour les fameuses Maisons de Belval témoignent de la folie des grandeurs, d’un amateurisme prétentieux et de la volonté d’en terminer une fois de plus avec les CRP. Je cite: maison du savoir,  maison Leonardo, maison du recteur, maison de la vie pour les sciences du vivant , maison de l’atome pour les technologies des matériaux, maison du nombre pour les technologies de l’information, maison money & paragraphes pour les juristes et les économistes, pas mal, maison de la cognition et une modeste maison de la Recherche publique pour confiner les administratifs de tous CRP. Je vous jure que c’est vrai! 
En complément, il était prévu de disperser les équipes de recherche des CRP dans l’anonymat de l’Université. Tout cela sans aucune concertation avec quiconque. 

Trop, c’était trop. Les trois CRP de l’époque ont sonnée l’alarme le 31 janvier 2006 dans une lettre commune adressée au Fonds Belval et en copie au ministre de la recherche. Le ministre a convoqué illico des réunions de crise pour éviter un scandale public. En parallèle, son collègue des travaux publics a mis immédiatement en suspens les appels publics à concours pour l’urbanisme et l’architecture de la première phase de construction. De nouveaux consultants sont venus pour faire encore une étude, la dernière. Et pour être bien compris, le gouvernement a décidé de limiter le plafond des dépenses à près de 600 millions d’euros pour l’ensemble. Ce qui fait une économie de 600 millions! Merci qui? 

L'étrange façon de fusionner Tudor et Lippmann

Quelles leçons pouvons-nous tirer de tout cela?

D’abord que les scientifiques ne sont pas tous des magouilleurs et des profiteurs du système, loin de là! Que les acquis en matière de recherche publique des trois dernières décennies sont impressionnants, malgré la fragilité évidente de la gouvernance politique, ce que l’OCDE avait déjà mis évidence dans son rapport de 2006.

Dans le contexte de ce rapport, j’avais proposée l’intégration des CRP dans une structure fédérative unique, une espèce de Fraunhofer Gesellschaft à la luxembourgeoise, dans le but de renforcer le système d’innovation luxembourgeois. Face au pôle académique de l’université, un pôle unique de recherche, de développement et d’innovation, un grand RTO. Cette option reste d’ailleurs ouverte avec la création des trois Luxembourg Institutes of quelque chose. 

Lors de la séance du Conseil d’administration du CRP Tudor du 12 décembre 2011, j’ai réitéré de façon spontanée cette proposition. Le gouvernement voulait mettre à jour la loi de 1987 sur la recherche publique avec un minimum de nouveautés. La discussion de ce projet de loi risquait de s’enliser et d’hypothéquer dangereusement l’avenir des CRP. Ma proposition fut saisie comme une balle au bond par les présidents des deux CRP prioritairement concernés, Tudor et Lippmann. La suite de l’histoire ne sera pas délectable. 

Les responsables n’avaient manifestement rien appris d’une autre fusion chaotique en ses débuts, celle des quatre établissements d’enseignement supérieur en 2003. Les nombreux dégâts collatéraux auraient pu être évités dans les deux cas. Sachez Messieurs que la recherche ne se gère pas comme une armée secrète. En lâchant vos hommes de main, vous avez blessé les personnes et porté atteinte aux acquis les plus précieux.

Dans les deux cas on retrouve une loi universelle. La manie du secret, le mépris affiché des collaborateurs, l’étouffement de toute discussion critique et l’absence d’adhésion qui en résulte sont absolument contraires à une bonne gestion de la recherche publique. Et l’inverse est vrai aussi. La loi de 1987 a été précédée par deux années de discussions contradictoires et de disputes politiques parfois vives, elle a tenue la route pendant près de trois décennies et produit de nombreux effets bénéfiques. 

Pour le LIST j’espère qu’on pourra bientôt dire: nous avons définitivement évité le pire.

Inconduites systémiques

Le FNR a bien raison de traquer les cas d’inconduite au niveau individuel du chercheur, le plagiat, le piratage, la publication de résultas truqués, les titres académiques douteux. Les sciences du vivant semblent les plus exposées à ce genre d’inconduite. Cependant, le milieu de la recherche dans son ensemble, gouvernance incluse, aurait intérêt à porter son attention sur les inconduites systémiques, qui peuvent être lourdes de conséquences néfastes. Je pense à l’abus d’argent facile, la communication abusive, les conflits d’intérêts, les évaluations biaisées. 

Ce thème constitue réellement une page blanche que nous avons intérêt à remplir.

Mee, daat alles ass nët sou schlëmm, well wéi soot de Putty Stein virun baal honnert Johr:« Mir hu Geld, d’brauch sech keen ze drécken méi, d’brauch sech keen ze quëtschen, d’Mënz ass doo, d’Freed kënnt noo. 
Bien vu!

Bonne gouvernance de la recherche publique

La recherche a besoin de façon urgente d’une réelle gouvernance. L’OCDE avait suggéré deux voies inégales: soit la création d’un comité de haut niveau pour la recherche et l’innovation, soit une restructuration profonde du système d’innovation. Ce fut bien sûr la première voie qui fut choisie par le gouvernement en 2006. Fiasco total et d’ailleurs prévisible. La deuxième voie fut empruntée en Finlande, paraît-il avec succès. Le système d’innovation finlandais accorde une importance égale à l’approche académique et à l’approche RTO.

La gouvernance de la recherche n’a rien à voir avec l’autorité hiérarchique et les mesquineries administratives. Dans un système d’innovation bien conçu, la bonne gouvernance repose sur des mécanismes auto-régulateurs, librement acceptés par les individus et les organisations. La relation contractuelle entre l’Etat et les établissements publics, la démarche de qualité et l’instauration pour les chercheurs d’espaces de liberté, de médiation et d’écoute sont les clés de voûte d’une approche citoyenne.

Soyons clairs, la qualité c’est avant tout un état d’esprit, c’est l’analyse critique des échecs et dysfonctionnements pour améliorer de façon permanente le système. La non qualité, c’est la rustine et le fameux tapis.

Här Staatssekretär, 
mir setzen all ons Hoffnung op Iech, Dir hut alles waat e brauch fir ze réüsséiren, Dir sit jonk, onbefangen an energisch, wann et muss sinn kennt Der och Nee soen, an Dir hut och nach a gudde Regierungsprogramm.

Naïscht fir Ongudd,  a merci fir d’Noolauschteren.

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