mardi 17 novembre 2015

Espaces de liberté pour la recherche publique (Carte Blanche Paperjam du 14.11.2015)

QUELLE GOUVERNANCE POUR LA RECHERCHE?


Espaces de liberté pour la recherche publique

AUJOURD'HUI 07:00 Par Claude Wehenkel

Claude Wehenkel, ancien directeur du centre de recherche public Henri Tudor (devenu le Luxembourg Institute of Science and Technology), a reçu un prix spécial lors des derniers FNR Awards pour son «son engagement extraordinaire dans le développement de la recherche et des sciences au Luxembourg». Il livre sa vision pour la gouvernance de ces secteurs qu’il connaît bien.
La recherche ne se gère pas comme une armée secrète, estime Claude Wehenkel.


Motivation et productivité
Il est banal de constater que dans toute entreprise la créativité des collaborateurs augmente avec la motivation individuelle. Celle-ci est le résultat d’une bonne culture d’entreprise, d’une juste reconnaissance et d’un système de rémunération compréhensible. Dans les équipes de recherche, le vieillir ensemble est, par exemple, fortement démobilisateur. Seule une bonne mobilité permet d’éviter le vieillissement collectif. Mais la mobilité reste un rêve pieux, si les chercheurs ne sont pas employables… Rien que cet exemple montre la complexité de la question de la motivation.
Dans les organisations de recherche et en particulier dans les RTO (Research and Technology Organisation, comme Tudor, respectivement LIST), la motivation revêt une importance cruciale, puisque les collaborateurs sont en plus leur propre machine de production de savoir. La recherche ne se gère pas comme une armée secrète. Dans ce contexte, la fusion difficile des CRP Lippmann et Tudor mérite d’être analysée en profondeur. Pour en garder les leçons !

Flemme ou bonne humeur?
Si la plupart des collaborateurs ont déjà la flemme avant d’arriver au travail, c’est qu’il y a un problème grave dans la gestion des ressources humaines. Petites choses, grands effets! Par exemple, l’obligation de pointer est perçue comme une vexation contreproductive, qui coûte en réalité de l’argent et diminue la motivation. Tout comme, les mauvais exemples donnés par « ceux d’en haut ». 
L’attitude de plus en plus autocratique des responsables d’établissements de recherche nuit gravement à la santé de ces entreprises. Les signes extérieurs en sont: immixtion directe du Conseil d’administration dans la gestion courante, cloisonnement entre équipes de recherche, manie du secret, absence de débat critique etc.
Les collaborateurs d’un centre de recherche doivent être respectés, pris au sérieux, se sentir libres et ne pas avoir le sentiment d’être incarcérés dans une pyramide autoritaire.
En 2007, le Centre Tudor a élaboré et publié sous forme de petit livre son cinquième plan de développement (utilisateur: gir, password: gir) incluant le premier contrat de performance. Environ 80 collaborateurs avaient directement contribué à cette tâche ambitieuse. En régime autocratique, les collaborateurs auraient pris connaissance du document par voie de presse. C’était un bel exemple de gouvernance participative.

Fragilité des établissements de recherche
La fusion des deux CRP montre à quel point les organisations de recherche sont fragiles.
Des départs massifs ont été constatés dernièrement au CRP Tudor, respectivement au nouveau LIST. Une centaine de collaborateurs, dont l’ancien directeur général de Tudor, ont quitté la recherche publique. Ces départs ont sans doute été facilités par la réputation de bonne employabilité des collaborateurs du Centre Tudor.
Les rapports annuels 2014 ont été publiés en septembre 2015 par les deux CRP. Celui du Lippmann (utilisateur: gir, password: gir) est entièrement qualitatif, alors qu’on peut trouver quelques chiffres non financiers dans celui du Tudor (utilisateur: gir, password: gir). Le lecteur peut avoir l’impression que les deux CRP ont tourné en roue libre depuis un bon moment. L’obligation « d’accountability » des deux établissements publics est passée aux oubliettes. Depuis l’initiative du 12.12.2011 au Conseil d’administration du Centre Tudor et l’arrivée début mai 2015 du nouveau CEO Gabriel Crain, trois ans et demi se sont écoulés. Bravo les artistes!
« Les responsables n’avaient manifestement rien appris d’une autre fusion chaotique en ses débuts, celle des quatre établissements d’enseignement supérieur en 2003. de nombreux dégâts collatéraux auraient pu être évités dans les deux cas. Sachez Messieurs que la recherche ne se gère pas comme une armée secrète. En lâchant vos hommes de main, vous avez blessé les personnes et porté atteinte aux acquis les plus précieux.
Dans les deux cas on retrouve une loi universelle. La manie du secret, le mépris affiché des collaborateurs, l’étouffement de toute discussion critique et l’absence d’adhésion qui en résulte sont absolument contraires à une bonne gestion de la recherche publique. Et l’inverse est vrai aussi. La loi de 1987 a été précédée par deux années de discussions contradictoires et de disputes politiques parfois vives, elle a tenue la route pendant près de trois décennies et produit de nombreux effets bénéfiques. »  

La Gazette de l’Innovation
« La gouvernance de la recherche n’a rien à voir avec l’autorité hiérarchique et les mesquineries administratives. Dans un système d’innovation bien conçu, la bonne gouvernance repose sur des mécanismes auto-régulateurs, librement acceptés par les individus et les organisations. 
(1) La relation contractuelle entre l’Etat et les établissements publics, 
(2) la démarche de qualité et 
(3) l’instauration pour les chercheurs d’espaces de liberté, de médiation et d’écoute sont les clés de voûte d’une approche citoyenne. » 

En attendant une éventuelle initiative des pouvoirs publics, un petit groupe a pris l’initiative de lancer un démonstrateur d’un espace de liberté sur l’Internet. Le site interactif s’appelle « Gazette de l’Innovation et de la Recherche au Luxembourg ». 
URL de La Gazette: http://gir-lux.blogspot.lu

claude@wehenkel.lu

(Carte Blanche de Paperjam du 14.11.2015)

        

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